Elle fut la première à faire du cinéma et son nom a été injustement effacé de l’histoire. Le Prix Alice Guy qui est un hommage à sa filmographie généreuse, essentielle s’est donnée pour mission de la réhabiliter en montrant, à chaque soirée, ses films et en racontant son parcours époustouflant. Alors qui était donc Alice Guy ?
Alice Guy, la première cinéaste du monde
Alice Guy est la première réalisatrice de l’histoire du cinéma. La première femme ? Non, la première cinéaste tout court. Celle qui a pensé, imaginé, senti que le cinéma deviendrait un art et le meilleur moyen de raconter des histoires. C’est elle qui, à partir de 1896, a inventé la grammaire du Septième art, celle qui est encore en cours aujourd’hui.
Née à Saint-Mandé en 1873, elle grandit entre l’Amérique du Sud et la Suisse avant de s’installer à Paris, lorsque sa famille de libraires revient du Chili, ruinée. Seule avec sa mère, elle prend, en 1893, un emploi de secrétaire sténo-dactylo au service de Léon Gaumont, au Comptoir général de la photographie. L’époque est à l’effervescence ingénieuse. Le 22 mars 1895, les frères Lumière convient Gaumont et sa secrétaire à la première séance d’images animées.
Dans son Autobiographie d’une pionnière du cinéma (1873-1968), Alice Guy s’amuse du manque de lucidité des inventeurs. «L’intérêt que pouvait présenter la prise de vues comme moyen d’éducation et de distraction ne semblait pas avoir retenu l’attention de Gaumont, écrit-elle. Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu. J’avais fait un peu de théâtre d’amateur et pensais qu’on pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu son consentement. Ma jeunesse, mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. Je l’obtins cependant, à la condition expresse que cela n’empièterait pas sur mes fonctions de secrétaire ».
La fée aux choux, la première fiction du 7ème art
Sur une petite terrasse à proximité des ateliers Gaumont aux Buttes Chaumont, Alice Guy installe un drap peint, des choux en bois, convoque des amis, un bébé et donne naissance, en mars 1896, à La fée aux choux, la toute première fiction du 7ème art. « Le film eut assez de succès pour qu’on me permit de renouveler ma tentative », écrit-elle encore.
Entre 1897 et 1907, Alice Guy tournera plus de 200 films de genre varié : comédie, fantastique, religieux, burlesque, des opéra, des films sonores ou colorisés. Scénariste, directrice de production, spécialiste des effets spéciaux… Alice Guy est à tous les postes ! « Tous ces films très courts (de 17 à 25 mètres environ), pris dans des conditions incroyables contenaient en germe les réalisations d’aujourd’hui» écrit-elle encore.
Sa carrière américaine
En 1907, elle se marie avec Herbert Blaché que Léon Gaumont envoie aux Etats-Unis. Elle le suit et recommence très vite à faire des films. Elle se met au goût américain, réalise des westerns, des policiers, des films d’action. En 1910, elle crée une société de production, la Solax, et fait construire son propre studio à Fort Lee dans le New Jersey, la cité du cinéma d’alors.
Avec son voisin David W. Griffith, de la Biograph, elle se dispute les meilleurs acteurs de l’époque. Elle innove encore en tournant à l’extérieur ou avec des noirs, des cascadeurs, des animaux sauvages… Jusqu’en 1917, Alice Guy domine le cinéma mondial. En 1920, elle tourne toutefois son dernier film, ruinée par les investissements hasardeux de son mari, son divorce, les maladies de ses enfants… Le sacre d’Hollywood aux mains de puissants trusts a eu raison de la Solax.
Le retour et la chute d’Alice Guy
En 1922, vaincue, Alice Guy rentre en France mais plus aucune porte du milieu du cinéma ne s’ouvre. Même Léon Gaumont ne semble pas se souvenir d’elle. Il ne fera jamais publiquement référence à son travail. La cinéaste tente alors de regrouper son œuvre. La mission semble impossible puisqu’au début du cinéma, les films étaient attribués au studio, jamais au réalisateur. En 1992, une quarantaine de courts-métrages lui sont attribuées, on en compte près de 150 aujourd’hui sur les plus de 1000 –certains disent 8000 ! – réalisés.
Durant la Seconde Guerre Mondiale qu’elle passe en Suisse, Alice Guy rédige ses mémoires. Son Autobiographie d’une pionnière du cinéma est achevée en 1953 mais ne sera publiée qu’en 1976, huit ans après sa mort, par l’Association féministe Musidora. La réalisatrice attribue son effacement de l’histoire du cinéma au fait d’avoir été une femme dans un milieu très masculin.
Une cinéaste oubliée
De son vivant, elle a toutefois reçu un hommage de la part de Louis Gaumont, le fils de Léon, la Légion d’honneur en 1955 et assisté à une rétrospective de son travail à la Cinémathèque en 1957. Rien d’exceptionnel donc. Depuis, quelques films lui ont été consacrés : un téléfilm de Caroline Huppert en 1983, un documentaire et un roman d’Emmanuelle Gaume en 2016 et enfin, ce work in progress américain, Be natural, l’histoire inédite Alice Guy-Blaché de Pamela B. Green, raconté par Jodie Foster, et présenté au Festival de Cannes 2018, sorti en salle le 22 juin 2020.
Alice Guy s’est éteinte aux Etats-Unis en mars 1968, il y a tout juste 50 ans. Le Prix Alice Guy continuera chaque année à lui rendre hommage.