Compositrice des musiques des films de Pascale Ferran, de Dominique Cabrera ou de Brigitte Sy, Béatrice Thiriet improvisera sur les films d’Alice Guy lors de la soirée de remise du prix à Audrey Diwan, le vendredi 8 avril 2022 au Max Linder Panorama. Venez assister à ce ciné-concert unique !
Rencontre avec Béatrice Thiriet
Artiste aux multiples talents, Béatrice Thiriet est la compositrice française de musique de films (et pas seulement) la plus emblématique d’un secteur essentiellement masculin.
Béatrice Thiriet, lors du jury du Prix Alice Guy 2022
Moins de 10% des productions françaises confient leur bande originale à des femmes. Béatrice Thiriet compte, elle, une cinquantaine de partitions pour le cinéma ou la télévision. Elle a même été une des premières à être nommée aux César pour la musique originale de Bird people de Pascale Ferran en 2015.
Pianiste réputée, elle improvisera sur trois films d’Alice Guy lors d’un ciné-concert unique qui introduira la soirée de remise du Prix Alice Guy le 8 avril 2022 au Max Linder. Panorama. Une manière exceptionnelle de célébrer les 5 ans de ce prix qui valorise le travail des femmes dans le cinéma. Membre du jury 2022, elle se confie ici sur sa relation à Alice Guy, au cinéma et à ses créations actuelles.
Quand et comment avez-vous rencontré Alice Guy?
Béatrice Thiriet : La réalisatrice Dominique Cabrera l’avait mentionnée lors d’une discussion que nous avions à propos des femmes artistes. Elle m’avait suggéré de regarder La fée aux choux – quel titre génial ! -. Depuis, j’ai lu sa biographie dans 50 femmes de cinéma, livre où je figure aussi !, j’ai assisté à un ciné-concert au programme duquel un de ses courts-métrages était montré. Et je suis le Prix Alice Guy depuis ses débuts…
Avez-vous déjà improvisé sur ses films?
Béatrice Thiriet : Moi, non. Ce sera la première fois le 8 avril prochain. Mais en 2020-2021, j’ai proposé à huit de mes étudiant.e.s de la classe de composition de musique de film de l’Ecole Normale de Musique de Paris Alfred Cortot de travailler sur un de ses courts métrages : Une histoire roulante. C’est un film comique, classique dans lequel un clochard est piégé. Il s’endort dans un tonneau qui se met à rouler et à traverser toute la société de l’époque. J’ai trouvé qu’Alice Guy avait une manière élégante de raconter le monde qui l’entoure, sans utiliser ni psychologie ni morale.
Et vos élèves, qu’en ont-ils pensé ?
Béatrice Thiriet : Ils ont trouvé qu’il était difficile de composer sur un film muet. – ndlr, l’une d’elles, Anna Korbinska, était venue présenter son travail lors de la soirée du Prix Alice Guy 2021 et le public avait écouté aussi la version d’une autre étudiante, Li Siyi, coincée à l’étranger par la pandémie – . A cette occasion, ils ont toutefois découvert cette réalisatrice et ce qu’elle avait apporté à l’histoire du cinéma.
Que pensez-vous d’Alice Guy et de son cinéma?
Béatrice Thiriet : Je la trouve très politique avec un regard aigu sur la société dans laquelle elle évolue. J’ai travaillé avec de nombreuses cinéastes femmes. Même si elles sont brillantes, comme elle, elles continuent à bénéficier d’une moindre reconnaissance, d’un moindre soutien dans leur carrière, de budgets plus réduits. Elles restent moins nombreuses et on leur fait moins confiance qu’aux réalisateurs. C’est essentiel de montrer qu’elles existent, de les dénombrer aussi et bien sûr de montrer leur travail. Le faire à travers un prix est important et joyeux !
Béatrice Thiriet dans Odyssée musicale, le film que Jérôme Diamant-Berger lui consacre
C’est aussi le cas du travail de compositrices, non?
Béatrice Thiriet : Oui, bien sûr. On compte 18% de compositrices mais elles n’accèdent qu’à 1% des commandes publiques d’oeuvres musicales. C’est scandaleux qu’il n’y ait pas un accès équitable à cet argent public, une alternance des récipiendaires de ces commandes ! Les femmes ont capables d’écrire toutes formes de musique, même avec de grands orchestres, même de l’opéra !
A ce propos, vous venez de composer un drame musical A voceru. De quoi traite-t-il?
Béatrice Thiriet : A voceru est inspiré des chants de deuil corses qui mélangent violence, vengeance et tristesse. Bien que traditionnels, ils sont encore fréquemment chantés lors de funérailles. Par ma mère, je suis originaire de Corse et reste profondément liée à cette île. C’est à Ajaccio que ma vocation musicale est née, sur le vieux Pleyel de l’appartement familial.
Cette composition fait l’objet d’un documentaire de Jérôme Diamant-Berger, baptisé Odyssée musicale*. Quel en est le propos?
Béatrice Thiriet : La création musicale est mystérieuse et on en parle peu. Depuis longtemps, Jérôme Diamant-Berger avait l’envie de faire un film à ce sujet, sur mon métier qui le fascinait et sur moi. J’ai obtenu une résidence, une aide à la création au Centre national de la Création Musicale Voce de Pigna, en Corse et une commande d’état. Nous avons donc décidé de faire d’un long métrage qui raconte la naissance de ce projet artistique et qui le suit jusqu’à la répétition générale. Le spectacle ne sera monté qu’en 2023 à l’auditorium de Pigna, en Balagne. Il fera l’objet d’une captation et s’inscrira comme le second volet de ce documentaire de création.
Vous vous dévoilez comme rarement les créatrices le font…
Béatrice Thiriet : Ce n’est pas évident de se confier ainsi à un cinéaste, mais, je connais le pouvoir du cinéma, capable de s’inspirer d’une histoire individuelle en la rendant universelle.
Béatrice Thiriet et ses musiciens lors de l création de A Voceru
Quels sont vos autres projets?
Béatrice Thiriet : Je compose la musique du Bonheur est pour demain, le prochain film de Brigitte Sy avec Laetitia Casta et Béatrice Dalle, de Trois femmes de Dominique Cabrera avec Yolande Moreau et Hélène Vincent, et de la troisième saison de la série Cinéma mythique de Joël Farges. Sinon, je suis en train d’écrire un scénario sur la compositrice Alma Malher et termine le cycle de mélodies, Flowers dont j’ai aussi écrit les poèmes et qui sera bientôt créé par le trio 3D.
*Odyssée musicale de Jérôme Diamant-Berger est à découvrir à partir du 14 avril 2022 sur la chaîne régionale TV Paese et sur sa plateforme, avant une diffusion nationale.
Il sera aussi projeté le 14 avril à 20h au Cinéma des Cinéastes à Paris. Un débat avec Béatrice Thiriet et le réalisateur Jérôme Diamant-Berger suivra.